Femmes et Business : vers la grande régression ?

16 mai 2018

La place des femmes dans le business s’est au fil des ans améliorée.
Cela ne s’est vraiment pas fait tout seul, il a fallu lutter, convaincre. Quitte à en faire quelquefois une question de droit ; on pense à la loi relative à la représentation des femmes et des hommes au sein des conseils, qui fixe un quota obligatoire de 40% du sexe sous-représenté dans les CA des entreprises cotées ou comptant plus de 500 salariés et un CA supérieur à 50M€.

On peut également parler des débats qui s’ouvrent sur le caractère obligatoire du congé parental pour les hommes ; et la fête des mères à récemment donnée lieu à un débat progressiste sur le partage des tâches en rebond aux publicités jugées sexistes de grands distributeurs.

Et pourtant… une immense régression pourrait bien s’annoncer.
Une régression paradoxale car elle viendrait d’où vient notre plus grande transformation, le digital.

Avec nos partenaires, nous avons chez Reputation Age, organisé le trophée des Futures Licornes. Une sélection finale s’est opérée à partir de l’étude de 1400 dossiers. Nous avons été saisis d’une sensation incroyable ; plus de 90% de ces dossiers étaient présentés par des hommes. Cette base quantitative très solide venait confirmer ce que l’exercice quotidien d’une agence conseil structurée autour du digital peut ressentir : l’absolue masculinité de son écosystème.

Alors dans un réflexe bien français on essaye de déconstruire ce sujet pour comprendre.
Et là, où que l’on se tourne, le tournis vous prend.

D’abord les mythes digitaux sont masculins.
Les sagas historiques d’Apple, Microsoft, Facebook, Amazon et Google sont masculines.
Steve Jobs et Bill Gates dans les années 70, Larry Page et Jeff Bezos dans les années 90, Mark Zuckerberg et Elon Musk au début du siècle.
On connaitra bientôt les noms de Kevin Systrom et Jack Dorsey aussi bien que l’on connait Instagram et Twitter.

Ensuite le web business nait souvent d’une intuition consistant à translater dans le digital une réussite du dur. Si tout le monde a certes une idée, pour la mettre en œuvre il faut une capacité technique. Il fallait des capitaux pour ouvrir une boutique. Il faut coder pour ouvrir une plateforme.
Créer une plateforme en ligne n’est pas très compliqué pour qui a une maîtrise technique.
Voici que s’ouvre l’ère des ingénieur(e)s.

Si les filles représentent l’écrasante majorité des lycéennes en « L » et « ES », elles ne représentent plus que 37% des terminales « S ».
Puis ne représentent plus que 27 % des élèves d’écoles d’ingénieures, ou la majorité étudie la chimie (44%) et l’agronomie (36%). A l’inverse, elles sont ultra minoritaires dans les branches de la mécanique productique (9%) et de l’automatique électricité (9%). 11% des filles étudient les STIC.

Le monde des codeurs développe une culture assez rude, et très masculine, testostéronée, ce qui l’isole de ce que les femmes pourraient lui apporter et se retourne parfois contre elles. Et l’on peut saluer les efforts d’Aurélie Jean (@Aurelie_JEAN) qui, inlassablement, avec son association « in silico veritas » évangélise le code auprès des jeunes femmes de son âge… A l’occasion de mes engagements professionnels, j’ai eu l’occasion de travailler avec des écoles de renommées mondiales, j’ai évolué à de multiples reprises dans leurs locaux. Beaucoup, pour ne pas dire uniquement, de « mecs », dans les écoles s’installe de fait une pratique quotidienne avec un style de vie déstructuré ou on dort souvent sur place, les serviettes sèchent dans les escaliers, bref un style de vie assez dur. S’y faire une place en tant que fille n’est pas simple, un peu comme dans l’armée.

Les indices divers lisibles donnent des enseignements. il semblerait par exemple que seules 12 à 15 % des start-ups levant des fonds soient dirigées par des femmes et que ceci soit en baisse au regard de l’année qui précède.

Un paradoxe inattendu s’annonce, la nouvelle économie, celle du toujours plus ; plus de liberté, plus d’innovation, plus d’accès aux offres, plus de démocratie de l’avoir, plus de facilité, c’est moins de femmes.

Alors il va falloir à nouveau en parler, la lutte est loin d’être finie, et il faut que cette nouvelle croisade puisse commencer. Pourquoi ? parce que la prise de conscience n’est probablement pas engagée. Modernité égal progrès, non ? et bien ce n’est pas si sûr.

Alors #jamaissanselles, n’est pas à remiser.

Il faut que diversité et inclusion soient l’affaire quotidienne du digital, et surtout que les jeunes filles et les jeunes femmes trouvent logique d’être ingénieures et de s’engager dans des routes industrielles d’envergures, afin de figurer dans les futurs palmarès des lauréates des Futures Licornes.
Il faut que les leaders d’opinion soit proactifs et promeuvent des role-models, il faut donner envie à celles qui visiblement se disent : « ce n’est pas pour moi. »
Autrement, une régression brutale et bizarre nous attend car aucune loi ne pourra imposer quoi que ce soit à des start-ups ; et un modèle culturel régressif s’avancera.

Philippe Lentschener

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